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Jean Luc

jean luc

Le Basketball, un jeu sportif à la place des discours

 

En 2019, la NBA a posé le pied sur le sol africain, bien décidée à lancer la première Ligue de Basketball en dehors du continent américain. C’est ainsi que Jean Luc Agboyibo est arrivé à Dakar, au Sénégal, comme l’un des leaders du développement de la BAL (Basketball Africa League). Le jeu a toujours été un élément essentiel de sa vie, depuis son enfance au Togo jusqu’à aujourd’hui. Une fois certain de son ambition de devenir joueur professionnel, il se rend rapidement compte des potentialités du basket-ball et de ce dont il pourrait accomplir.  

En s’appuyant sur son propre projet Milédou (se traduisant par « On est ensemble »), Jean Luc engage une réflexion sur le potentiel du sport comme outil permettant aux jeunes de retrouver confiance et sentiment d’appartenance. Ces deux aspects sont essentiels afin de permettre aux jeunes de créer des opportunités chez eux. Enfin, Jean Luc partage son opinion sur le rôle que des membres privilégiés de la diaspora, comme lui, devraient ou pourraient jouer dans l’accompagnement des jeunes.

Site internet: http://lysdproject.org/miledou
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Marianne: Jean Luc est un jeune togolais qui vit aujourd’hui à Dakar, au Sénégal. Il travaille pour la NBA, la ligue américaine de basket, et aide à créer un équivalent de cette compétition globalement connue, ici en Afrique. Mais je vais trop vite, commençons par le début. 

Jean Luc : Je suis né au Togo. J’y suis resté jusqu’à l’âge de 13 ans et ensuite je suis parti en France dans le cadre de mes études. Je suis revenu sur le continent il y a bientôt 8 ans et le fait d’avoir grandi entre deux continents et d’avoir bougé pas mal fait que je considère que la migration est partie intégrante de ma vie et je me reconnais assez facilement dans tous ces sujets lorsqu’on en parle. 

Jean Luc : Je ne veux pas faire un parallèle avec des personnes qui en souffrent ou qui finissent par perdre la vie dans la Méditerranée mais le fait d’être parti jeune sans les parents, de rentrer plus tard et de pas trouver sa place, je pense qu’on peut se rejoindre avec des gens qui sont touchés par la migration. Et je pense que ce n’est pas uniquement ceux qui périssent qui peuvent parler de migration dès le moment où on est déplacé, surtout quand on est enfant et qu’on ne choisit pas. Je pense que d’une manière, j’ai migré, oui. 

Jean Luc : Quand je suis rentré, j’avais l’impression que c’était un pas en arrière et que c’était un échec. Je quittais Paris pour Lomé et je vois le sable, je voyais des choses sales et je me disais : « Mais comment je vais pouvoir faire décoller ma carrière en étant dans une ville comme ça ? » Là où tous mes copains partaient travailler à New York, partaient travailler en Asie, en Australie, moi, je retournais au pays. Donc quand je vois par quoi je suis passé pendant 4, 5, 6 ans et que je vois les jeunes aujourd’hui, je me dis que ça va être extrêmement difficile pour eux de changer de perception. Mais c’est à nous de mener ce combat-là. 

Jean Luc : C’est un peu ça, le noyau de Milédou aujourd’hui, c’est un réseau de 37 éducateurs, dans 11 localités. Beaucoup de gens pensent qu’on fait du basketball, alors qu’en fait, c’est juste des guides qu’on essaie de développer, des gens qui peuvent accompagner les jeunes. Ça prend énormément de temps. Parfois, le résultat, on ne le voit pas tout de suite, parfois, le résultat, vous le verrez plus tard. 

Marianne: Maintenant, on y va un peu trop vite.  « Milédou » signifie en langue local togolais « On est en semble ».  C’est le projet que Jean Luc a créé à son retour au Togo. Ça a commencé petit à petit par des jeux de baskets dans les communautés, mais très vite il a compris que le sport peut être plus qu’une activité physique. 

Jean Luc : Le sport peut être une composante clé, peut être un outil complémentaire à ce qui se fait aujourd’hui. C’est primordial d’avoir une certaine éducation et d’avoir ces bases en mathématiques, en français ou autres. Donc, je ne me permettrais pas de dire que le sport peut remplacer ça, mais en tout cas, je pense que sur tous les camps de réfugiés ou les populations déplacées ou des personnes qui arrivent dans des localités qui ont du mal à trouver leur place, le sport peut tout de suite jouer un rôle clé. J’ai eu la chance, il y a quelques années, de mettre en place un projet à Yopougon et on nous disait que les populations qui ont été déplacées suite à la crise postélectorale, qui avaient beaucoup de personnes à Yopougon, qui avaient du mal à s’intégrer et le sport devenait surtout le basketball, devenait un outil incroyable pour mélanger des filles et des garçons de différentes catégories sociales. Et c’est vrai que oui, je pense que le sport peut jouer un rôle clé, mais pas que. Pas que le sport, il faut ajouter d’autres composantes en plus. 

Jean Luc : Puis il y a eu une expérience à la prison d’Abidjan, où j’ai travaillé avec des jeunes qui avaient commis des viols, des meurtres et autres, et j’ai commencé à me poser la question : est-ce qu’on ne peut pas aller encore plus loin ? Est-ce que ce que dit le président Mandela, est ce qu’on ne peut pas le pousser encore plus ? On a commencé à creuser un peu plus une thématique autour de la santé mentale, apprendre à être bien avec soi-même, quelqu’un qui n’est pas bien avec lui-même n’arrive pas à percevoir qu’il a une certaine chance en étant chez lui et qu’il y a des richesses, qu’il y a des choses qu’il peut transformer. Et c’est là que la mission actuelle de Milédou, c’est vraiment comment utiliser le sport pour permettre aux gens d’être alignés avec eux-mêmes. Et c’est à ce moment-là qu’ils peuvent écouter les conseils qu’on leur donne et se dire : je n’ai pas besoin de partir, il y a des choses autour de moi que je ne vois pas, que je ne perçois pas ; c’est une question de temps, c’est une question d’éducation, c’est une question de compétence de vie pour pouvoir être à même de se créer ce monde qui vous permette de transformer les choses, de gagner votre vie. 

Jean Luc : Il y a quelques années, j’ai pris la pyramide de Maslow et c’est une pyramide où on essaie de classifier par rapport aux besoins et donc en bas c’est manger, donc, on monte petit à petit et puis on arrive à tout en haut, c’est l’accomplissement et je disais à quelques-uns de mes mentors : Et si on prenait la pyramide de Maslow par le haut ? Parce que si on permet à des enfants d’avoir ce sentiment d’appartenance, de se sentir bien avec eux-mêmes, de poursuivre avant tout l’estime de soi même, l’amour pour soi-même, à certains moments, la vie devient beaucoup plus simple, mais on n’a pas tous cette chance-là, de grandir avec des personnes qui vous accompagnent pour vous donner une bonne estime de vous-même. Et quand vous dites ça que je viens d’une famille, on est 17 frères et sœurs, j’ai treize sœurs et quand je vois la place de la femme dans le monde, on vient d’un village… Et cette notion d’estime de soi, c’est extrêmement difficile pour le jeune garçon en milieu rural, mais c’est encore plus dur pour la jeune fille et ce qu’on a constaté dans les localités ou on travaille, c’est souvent lié à cette absence d’un père, à cette absence d’un guide. Et là où les petits garçons vont souvent avoir leur maman à la maison, on se rend compte que dans énormément de foyers, on se retrouve avec des jeunes filles qui ne grandissent pas avec la figure paternelle. Donc, c’est à travers nos coachs, aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on demande souvent, on ne veut pas substituer le rôle des pères ou des mères mais si vous sentez qu’il y a un manque, n’hésitez pas à jouer ce rôle d’une personne capable de renvoyer un enfant à lui-même pour qu’un jour il puisse se sentir protégé, qu’il a une communauté et qu’il a tout ce dont il a besoin. 

Marianne: Le vrai sens d’être ensemble, c’est que chacun a un rôle à jouer. C’est l’esprit de Milédou. Quant à lui, quel est son rôle, celui d’un grand frère, d’un coach, d’un leader peut-être ?  

Jean Luc : Je le vois dans mon village que les jeunes m’écoutent beaucoup. J’ai perdu mon papa l’année dernière et une des choses qu’il m’a partagées avant de partir, c’est que je l’ai beaucoup inspiré et je trouve qu’on ne prend pas assez le temps d’avouer ces choses-là, que les gens nous inspirent. Et c’est vrai, moi, j’ai grandi en étant bègue donc ce n’est pas par les mots que je m’exprimais, et aujourd’hui de ce que j’apprends d’un leader, c’est le meilleur moyen de transmettre est par les actes et je me sens très bien dans ce rôle-là, mettre des choses en place et je parle par mes actes. Donc oui, j’accepte cette position que j’ai, et même au boulot, je me fais tirer les oreilles souvent par mon patron qui me dit il faut que tu parles plus parce que ce n’est pas dans ma nature et des bons leaders que je vois aujourd’hui, c’est souvent des gens qui posent les actes et pas seulement qui disent les choses qu’il faut faire, quoi 

Jean Luc : On a eu des jeunes, je pense surtout à un qui s’appelle Richard. Il est passé par le programme, il a passé quatre ans avec nous. Il a eu beaucoup de mal à avoir son baccalauréat, une fois qu’il a eu son bac, on lui a proposé de devenir éducateur à son tour pour qu’il puisse transmettre. Et c’est ça qui fait la force de notre programme aujourd’hui, sur les 37 coachs, il y a facilement la moitié, c’est des jeunes passés par Milédou et Richard nous a dit au moment d’intégrer qu’il avait d’autres plans et qu’il aimerait partir à Dubaï et je suis parti en France. Je suis très content d’avoir fait quelques années en France et d’avoir appris des choses et je ne dirai jamais à personne, ne pars pas. Et surtout, comme vous avez parlé de leader, les leaders ne disent pas aux gens ce qu’ils doivent faire, les leaders aident les gens à prendre conscience même de ce qu’ils devraient faire même s’ils doivent faire des erreurs. C’est leur choix et c’est ce que j’ai dit à Richard, c’est qu’avant que tu partes, on a un programme en Côte d’Ivoire, accompagne-nous, viens faire un saut et en fait, on est parti un mois après à Yopougon et c’est Yopougon ce n’est pas forcément Abidjan ou Cocody, c’est vraiment Yopougon. Richard arrive à Yopougon, dans un centre commercial, et là, il est émerveillé. Deux semaines après, il dit, je ne veux plus partir à Dubai, je luis dit ah mais Pourquoi il me dit mais il y a tout ici. C’est un peu, je pense que ce qu’un jeune comme Richard voulait, c’était de sortir, de voir autre chose et il partait à l’aventure à Dubaï. Aujourd’hui, il travaille avec nous, il a un salaire correct, il continue ses études. Un jour, il ira à Dubaï, mais il ira à Dubaï avec des idées claires sur Dubaï, avec de l’argent de côté. Si l’expérience ne se passe pas bien à Dubaï, il fera le choix de dire je veux rentrer chez moi parce que ça ne se passe pas bien. S’il était parti à Dubaï du premier coup peut-être qu’il aurait eu honte de revenir, même si ça ne se passe pas bien là-bas. Moi, je n’ai jamais perçu la notion de migration comme quelque chose de mauvais, c’est juste qu’on ne donne pas les outils aux gens pour qu’ils circulent correctement. Et il y a quelque chose qui m’a surpris quand je rejoignais la NBA pour travailler au Sénégal. Tout le monde avait cette image que j’allais prendre l’avion et pour les gens dans mon village, prendre l’avion, c’est aller en Europe. Et maintenant, l’avion pour eux, ce n’est pas forcément d’aller en Europe, c’est d’aller au Sénégal. Leur rêve aujourd’hui, c’est plus d’aller en France ou ailleurs c’est de venir au Sénégal. Donc, c’est le sujet du moment qui va aller au Sénégal en premier? C’est de switcher cette idée de prendre l’avion pour rêver sur son propre continent. 

Jean Luc : Il y a quelques années, quand vous voyez les personnes qui étaient retenues en Libye, j’essayais de voir les visages et les regards et je me dis que ces personnes sont déjà en fait, il y a une partie d’elles qui est morte. Ils ne sont plus alignés, ils sont plus avec eux-mêmes. Et à chaque fois que je vois les jeunes grandir, à partir de 18-19 ans, certains, on les perd. Et c’est pour ça que j’insiste énormément sur les préados 9, 10, 11, 12 ans, c’est encore à cet âge-là qu’ils peuvent nous écouter quand ils rentrent dans l’adolescence. Avec les réseaux sociaux, c’est très compliqué de faire croire à un jeune qui a un processus à suivre qu’il faut prendre son temps. Il faut transformer le continent avec ces choses, qu’on met du temps. J’ai rejoint La NBA à 33 ans, de 27 ans à 33 ans, j’ai fait mon parcours, j’ai galéré. Je ne poursuivais pas l’argent. Je gagne très bien ma vie aujourd’hui, mais pendant six ans, je me suis dit je vais me mettre au service du continent. La chance que j’ai, je viens d’une bonne famille avec de la nourriture à table et à partir de ça, j’avais cette charge mentale en moins. Donc ce que j’essaie de faire, ma contribution, c’est d’enlever une charge mentale au plus grand nombre pour qu’ils puissent aussi contribuer et se donner cette chance de dire on va transformer ce continent, donc je n’ai pas forcément un message pour les jeunes, parce que ceux qui partent, ils décident de partir et c’est très compliqué de les retenir. Mais c’est plutôt pour toutes ces personnes qui sont comme moi, qui ont des positions un peu privilégiées de contribuer à créer un cadre, d’aider le plus grand nombre et de leur enlever cette charge mentale. J’entends souvent parler du revenu universel. Aujourd’hui, les coachs au sein de Milédou gagnent entre 25 000 et 90000, parfois dans des villages, ne serait-ce que de savoir qu’on va gagner 35 000 tous les mois, ça vous enlève une charge. Vous savez que vous pouvez mettre de la nourriture à table et vous concentrer sur autre chose et de pouvoir aider des jeunes autour de vous. Donc moi, c’est plutôt ça le message, c’est vraiment toutes ces personnes qui ont eu cette chance de venir de mon milieu. C’est parce qu’après tout, les jeunes dans les villages, c’est extrêmement compliqué. Et tant qu’ils n’auront pas le cadre, ils partiront, quel que soit ce qu’on leur dira, ils vous diront tu ne peux pas comprendre ce que je vis, moi, c’est ce que je sens souvent dans les regards. Je les comprends, mais je comprends aussi qu’ils se disent que je ne comprends pas. 

Marianne: Merci d’avoir écouté cet épisode de notre série migr’histoires. Pour suivre les autres épisodes de la série, rendez-vous sur la chaine Yenna ou sur la plateforme de streaming de votre choix.  

Ce podcast est réalisé par l’OIM et financé par le gouvernement du Royaume-Uni.

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