Voyages photographiques : les images au cœur des rencontres culturelles
Les images sont toutes autour de nous. Sur nos téléphones, les réseaux sociaux, les panneaux d’affichage, ou encore nos écrans d’ordinateurs portables. Elles définissent la façon dont nous voyons l’autre. Elles nous aident aussi à imaginer comment nos proches, loin de nous, vivent leur quotidien. Eva Diallo est une photographe suisse-sénégalaise née en 1996. Déjà enfant, elle a commencé à capturer la vie des membres de sa famille au Sénégal à travers l’objectif de son appareil photo.
Dans ce podcast, Eva explore également les valeurs et les concepts imaginaires à l’œuvre au sein de la communauté peule qu’elle appelle la sienne. Concernant la migration, elle essaie d’en saisir une vue d’ensemble. Donner vie aux sentiments d’appartenance, de fierté et de solidarité est tout aussi important que la simple recherche d’une vie meilleure.
Site internet : https://eva-diallo.com
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Marianne: Eva Diallo est une jeune photographe. Elle est le produit de deux mondes : le Sénégal et la Suisse, où elle est née en 1996. Donc encore très jeune, je trouve qu’elle est pleine d’expérience et de sagesse. Je me demande si c’est peut-être à cause de cette mixité, la richesse de faire partie de deux cultures.
Aujourd’hui elle est basée à Saint-Louis et elle utilise son appareil photo pour illustrer des histoires de migration, qui font le pont entre deux mondes. Devant son objectif on trouve souvent les membres de sa famille, cela peut créer une intimité délicate … mais c’est comme si, pour elle, c’était inévitable.
Eva Diallo : Alors bon, je dirais que j’ai eu la chance d’avoir une mère qui était très proche de ses racines et de sa famille sénégalaise. Et donc, depuis mon plus jeune âge, vraiment, elle nous a habitué, mon frère et moi, à venir chaque année plusieurs fois par année au Sénégal. Donc, depuis ma naissance, je pense que j’ai toujours été habituée à être à chacune de mes vacances scolaires au Sénégal. Et donc, à être très proche de ma famille d’ici. Donc, je pense que dès que j’ai terminé mes études en Suisse, je me suis dit qu’il était temps de me rapprocher de ce côté-là de ma famille.
Ils ont toujours rêvé de voir, nous, dans quel contexte on avait grandi. Et c’est un peu à travers les images aussi, parce que je me souviens très bien que, étant toute jeune, chaque été, on venait. Et puis, le premier truc qu’il faisait pendant quelques jours, c’était regarder toutes les photos qu’on avait sur nos téléphones et sur nos appareils pour voir à quoi ça ressemblait et tout. Je pense que garder le contact via les images et le téléphone. Même quand j’étais là-bas, on s’appelait beaucoup même appels vidéo, etc. Donc c’est un peu par là que j’ai pu garder le contact.
Marianne: La place de l’image était toujours là, dans le contact avec les autres mais aussi dans le contact entre elle et le monde. La photographie faisait déjà partie de sa vie très tôt.
Eva Diallo : J’étais jeune quand j’ai commencé à faire des images, surtout dans mon village, dans le village de ma mère qui est dans le nord du Sénégal et en fait, c’était d’un coup très naturel aussi de prendre en photo les membres de ma famille et qu’on se prenne en photo ensemble. Et je vois aussi pour eux le fait que ce n’étaient pas que des images d’eux. C’étaient des images de nous, en fait, et ça a fait que ça a commencé comme ça. Et après ? Quand j’ai commencé les études en Suisse et même mon dossier d’entrée, c’étaient des photos que j’avais fait dans mon village au Sénégal.
Marianne: Je me demandais si les photos peuvent faire plus que connecter des familles. Est-ce qu’ils peuvent aider à comprendre la réalité des autres ?
Eva Diallo : Dans des pays où peut être que l’éducation n’est pas forcément à tous les niveaux, enfin, les niveaux sociaux mis en avant ou alors obligatoire, etc … l’image, c’est quelque chose qui parle beaucoup. Donc, pour beaucoup de gens qui ne savent pas forcément lire ou écrire, l’image parle en fait de toute façon à chacun. Et donc, je pense qu’en tant que photographe, c’est que si je peux montrer ce qui se passe, témoigner des voyages de gens, etc. ça peut parler du coup à des gens qui n’ont pas forcément les moyens de lire des articles sur la migration ou écouter disons dans une autre langue les histoires qui se passent en Italie, en France ou en Espagne, dans le reste de l’Europe.
Marianne: A quel moment lui est venu l’idée de photographier les migrants ?
Eva Diallo: Les histoires de tous ces gens qui ont pris ces routes tellement dangereuses dans lesquelles ils risquent leur vie, etc. c’est justement un phénomène qui me touche profondément et aussi par l’histoire de ma famille, c’est que ma mère, elle est partie du Sénégal, très jeune et elle est arrivée en Suisse et elle a dû grandir en tant que femme et en tant que mère dans un pays qui n’était pas le sien et construire toute sa vie autour de ça, aussi garder le lien avec sa famille restée au pays. Personne d’autre de sa famille proche n’est venu en Europe, donc elle est vraiment la seule. Donc, je pense que de par l’histoire de ma mère, j’ai été touchée par le parcours de tous ces gens qui sont partis de leur pays.
Eva Diallo : Je pense que maintenant, ça doit faire environ 5 ans que je travaille sur la migration. Ça a commencé quand j’étais encore aux études, j’ai eu dans le cadre de ma dernière année, un stage de six mois à faire en assistant photographe. Et donc là, j’ai travaillé pour un photographe qui s’appelle Samuel Garretta Cap, qui est un Français, et on était basé en Italie. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler dans les camps de réfugiés dans le Sud, on était dans les Pouilles où, pendant six mois, j’ai travaillé dans les camps de réfugiés où on faisait des… on prenait les témoignages de migrants, on faisait des images, évidemment aussi, et ça a commencé un peu là. Et après ça, j’ai vraiment pu me sortir de cette thématique et je me suis rendu compte que je travaillais un peu mieux quand c’était les thématiques qui me bouleversent. Et là, c’était assez clair. Il y a tellement de choses à dire que je pense que depuis, je travaille dessus.
Marianne: Parler des camps de réfugiés, c’est encore différent de dévoiler l’histoire de sa propre famille au monde.
Eva Diallo : C’est assez délicat quand ça touche à des thématiques qui nous sont propres, ou alors, qui nous touchent vraiment personnellement. C’est toujours très intense et intime. En fait, c’est un peu comme dévoiler une partie de soi-même à des gens qui ne nous connaissent pas forcément, etc. Et j’avoue que quand je dois parler de ma famille, c’est toujours délicat, je suis toujours en train de faire le pont entre ce que je suis d’accord disons de dévoiler à un tiers, des gens, justement, qui connaissent pas du tout mon histoire personnelle et les membres de ma famille et en attendant le devoir de témoignage qui doit vraiment montrer la réalité. Et puis, il y a un peu l’hommage que j’essaye de leur donner.
Eva Diallo : Il y a évidemment un devoir de témoignage afin que leurs histoires ne tombent pas non plus aux oubliettes. Parce que c’est leur histoire eux-mêmes mais aussi, celle de milliers de personnes. Donc, si j’ai la possibilité d’avoir des histoires comme ça dans mes proches et pour moi, ça me semble important de pouvoir les mettre en avant.
Marianne: Comme on a commencé à parler famille, j’ai envie de tout savoir. Commençons par ses cousins.
Eva Diallo : Ils sont trois maintenant à être en Italie, mais les deux hommes sur lesquels je fais mon travail, ce n’est pas des migrants qui ont pris les pirogues vers l’Espagne directement depuis le Sénégal. Ils sont passés par le territoire pour passer, donc après, oui, depuis la Libye c’est l’Italie.
Marianne: Qu’est-ce qui les a motivés à entreprendre ce voyage assez risqué, vers des endroits comme la Libye ?
Eva Diallo : le rêve du mieux et de l’Occident était évidemment très présent. Je pense, comme beaucoup, c’est qu’ils imaginent qu’ils vont avoir beaucoup plus que ce qu’ils ont ici et qu’ils pourront après donner la chance aux gens qui restent ici, donc à leur mère, à leurs frères, aux familles, au reste de la famille. Ils pourront leur apporter une meilleure qualité de vie.
En tout cas, dans le cas de ma famille, c’est une fois que financièrement le but sera atteint, c’est de revenir au Sénégal, d’atteindre un stade financier et de revenir pouvoir profiter au pays.
Eva Diallo : Je viens d’une famille peulh où la dignité est quelque chose de très, très importante et qu’on remarque assez vite. Les hommes peuls sont très, très fiers et ont beaucoup de dignité et donc se montrer sous un angle qui ne serait pas forcément avantageux, c’est souvent quelque chose qui est très, très dur pour eux, parce que j’ai aussi une cousine qui est du coup une femme qui est en Italie. Et je vois que pour elle, elle essaye beaucoup plus de dire la réalité et de dire vraiment dans quelles conditions ils sont, etc. et alors que justement, les côtés un peu masculins sont peut-être plus à cacher et à être justement un peu fiers et pas vouloir décevoir.
Marianne: Je savais que traditionnellement, la communauté Peulh est connue pour être de grands voyageurs. Depuis des siècles ils parcourent le continent et ailleurs, à la recherche de pâturages. Ce que j’ignorais, c’est que même aujourd’hui l’expérience de migration peut être différente pour les membres de cette communauté.
Eva Diallo : L’ethnie rapproche beaucoup, c’est que dans toutes les grandes villes, les Peuls en tout cas au Sénégal ou en Afrique de l’Ouest, les Peulhs sont dans toutes les grandes villes dont beaucoup de boutiques sont tenues par des Peuls. Quelqu’un qui sort d’un village et qui débarque dans une grande ville va forcément aller se rapprocher des gens avec qui il pourra parler la même langue. Et donc, ça fait forcément, ça crée forcément un cercle dans lequel il peut se sentir bien et être accueilli en dehors de la famille. Sans quoi, ils vont toujours être accueillis par d’autres familles peulh de par leur ethnie qui sera la même. C’est un peu une manière de se sentir un peu chez soi même et même très loin de son propre village.
Eva Diallo : Je pense qu’on est habitué à bouger depuis toujours, de base pour accompagner le bétail, se rendre dans des endroits où il y a plus d’herbe pour les années de sécheresse, etc. Donc, je pense que c’est quelque chose qui fait déjà partie de nos gènes. Evidemment, ce serait un peu trop gros de dire ça, mais c’est vrai que je pense que les pays sont peut-être plus amenés que cette autre ethnie à se déplacer et de sortir de cette zone de confort. Et d’un coup, peut être aussi, comment dire, s’intégrer dans des sociétés qui ne sont pas forcément celles dans lesquelles et dans lesquelles ils ont grandi, etc. Après, peut être que c’est une généralité que je fais, je ne m’en rends pas vraiment compte parce que de nouveau, vu que ça touche justement ma propre histoire et ce que j’ai pu en voir, enfin, disons comme j’ai vu ma mère s’intégrer en Suisse ou comme je vois maintenant mes cousins s’intégrer, que ce soit en Italie ou en France. Et bien je me dis qu’il y a peut-être d’autres ethnies ou d’autres pays dans lesquels les mœurs ou les habitudes et les traditions sont peut-être un peu plus éloignées de justement, l’intégration dans un autre univers que celui dans lequel on a grandi.
Marianne: Après avoir autant parlé de migration, je voulais quand même le savoir : Eva se considère-t-elle comme une migrante ?
Eva Diallo : Non, quand même pas. Ça me paraît un peu bizarre quand même, vu les privilèges que j’ai eus en grandissant, etc. de me considérer comme migrante dans le pays de ma mère.
Marianne: Merci d’avoir écouté cet épisode de notre série migr’histoires. Pour suivre les autres épisodes de la série, rendez-vous sur la chaine Yenna ou sur la plateforme de streaming de votre choix.
Ce podcast est réalisé par l’OIM et financé par le gouvernement du Royaume-Uni.
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